Entrevista en el diario ´Le Journal du Pays Basque´ Bizkaitar dorigine, et Navarraise dadoption, Begoña Errazti est diplômée dHistoire de lUniversité de Deusto, une discipline qui marque son orientation politique.Après des années de travail dans lenseignement, cette militante abertzale députée au Parlement navarrais dès 1995 a accepté en 1999 la présidence dEusko Alkartasuna, parti dobédience social-démocrate. Républicaine et indépendantiste, Begoña Errazti revendique ´sans aucune intention idyllique´ les droits historiques du Royaume de Navarre.
Vu les derniers événements et les déclarations des leaders politiques, on peut se demander si le tant mentionné processus de paix et de résolution démocratique existe vraiment. Quelle est votre impression sur la situation actuelle au Pays Basque ?
Nous nous trouvons avec un scénario nouveau, entre autres raisons avec le cessez-le-feu définitif de lETA. Il est vrai aussi que le scénario est différent par rapport à celui dil y a quelques années parce que majoritairement les partis politiques se sont mis daccord sur lidée du dialogue comme instrument pour résoudre le conflit politique, ce qui rejoint une demande majoritaire au sein de la société basque. Cela dit, même si nous nous trouvons avec un scénario nouveau il faudra que lon arrive au processus.
Etre arrivé au processus signifie que lon a défini des agendas, des sujets à débattre ainsi que linstrument des discussions, cest-à-dire la table des partis politiques, un point de rencontre pour la résolution du contentieux basque.
Comment y arriver ?
Il faut poursuivre les contacts entamés par le passé et en créer de nouveaux, et après avoir donné une place à la recherche dententes et de confiance entre tous les partenaires politiques. Ce serait le dernier pas pour entamer un dialogue politique.
Quels sont les obstacles qui empêchent les acteurs politiques darriver à faire ce dernier pas ?
Nous croyons que lobjectif principal des partis est daborder le n¦ud de la question, cest-à-dire, daborder le conflit politique. Le problème est que dautres estiment quil ny a pas de conflit politique. Les forces centralistes, nettement espagnoles, refusent lexistence de ce conflit parce que le fait de le reconnaître, le fait daborder les racines du conflit politique, le fait de répondre au mécontentement du peuple basque, entraînerait la révision des relations établies par les Etats français et espagnol par rapport au peuple basque. Et cela ne signifierait quune chose, quil faudrait trouver une solution pour actualiser ces relations, voire, reconnaître la capacité du peuple basque à décider de son propre avenir.
Vous avez mentionné la table des partis politiques. On parle soit dune seule table pour lensemble du Pays Basque, soit de trois tables, lune pour la Communauté Autonome Basque, lautre pour la Navarre et la troisième pour le Pays Basque nord. Quel est votre avis?
Nous sommes pour une seule table. Nous sommes une nation, un seul peuple, un contentieux politique, et donc une seule table. Voici notre position. Cela dit, nous sommes conscients quil y aura des moments où il sera nécessaire darticuler des espaces de débat et de travail pour favoriser le chemin vers la résolution. Le Parti Socialiste nest quun, certes il y a le PSF dun côté et le PSOE de lautre, et en Pays Basque sud il y a le PSE et le PSN, mais les socialistes font tous partie de la même mouvance. Après, jinsiste, sil faut articuler des espaces différents pour favoriser le processus, il ny aura pas de problème de notre part.
EA a participé aux deux tables de discussion qui ont été mises en place dernièrement, la Table dEgino et le Forum de Débat National. Quels sont les enseignements que vous en tirez ?
Eusko Alkartasuna est le seul parti à avoir participé à toutes les tables qui se sont constituées en Pays Basque pour trouver une issue au conflit, depuis Ajuria Enea, jusquau Forum de débat National qui a débouché sur lAccord Démocratique de Base, en passant par les Accords de Lizarra-Garazi. Lexpérience a été positive et a démontré que le consensus est la clé pour ouvrir la porte aux solutions. Lizarra Garazi, qui a été si diabolisé par certains secteurs, a rendu irréversible le processus de réflexion sur la nécessité dun dialogue politique comme seul système efficace pour la résolution du conflit. Lizarra-Garazi a aussi rendu possible laccord entre certaines formations politiques qui étaient jusqualors assez éloignées. Et, enfin, et le plus important, à travers Lizarra-Garazi la grande majorité de la société basque a pensé pour la première fois que lon pouvait en finir avec ce conflit politique. Ces accords avaient mobilisé presque toute la société et ont assis lidée dun règlement dialogué du conflit.
Ensuite, toutes les autres tables nous ont montré des choses, mais surtout elles ont eu la virtualité de rapprocher des forces politiques autour de lidée de dialogue. Certes, il ny a pas eu des avancées quantitatives vers la résolution du conflit, mais les progrès qualitatifs ont été remarquables. Pour le dire dune autre façon, les avancées nont pas été linéaires mais ont été progressives. Aujourdhui, la société basque et lespagnole, même les sympathisants du PP ou du PSOE, exigent une solution politique au problème.
Vous vous êtes prononcée pour la participation des formations politiques du Pays Basque nord à cette table des partis. Peut-il y avoir une solution au processus de paix sans ces partis où sans le PP ?
Nous pouvons avancer sans eux ; cest parfaitement possible. Nous pouvons même nous approcher de la solution, mais à terme leur participation est nécessaire. Moi, je suis convaincue quils vont tous prendre part. Peut-être certains ne vont-ils pas faire de grands efforts, peut-être feront-ils un usage électoral du processus, mais à terme ils devront participer parce que cest la société qui le leur exige. Pour linstant, certains dentre eux ne font que mettre des bâtons dans les roues et dautres utilisent des arguments incroyables pour refuser le dialogue. Nous avons été toujours daccord avec le principe selon lequel on ne peut pas utiliser la violence pour défendre des projets politiques ; mais, actuellement, on nous refuse de prôner les projets ayant été défendus auparavant par la violence.
Le secrétaire général du PSE a déclaré que le temps était arrivé dentamer des discussions formelles avec Batasuna.
Les socialistes ça fait des années quils discutent avec Batasuna. Nous vivons malheureusement des moments dincohérence politique. Si un parti comme le parti socialiste défend la liberté dexpression, dopinion et dassociation, si lon défend les droits civiques et politiques, comment peut-on participer à la création dune loi qui bafoue ces droits fondamentaux ? Comment peut-on comprendre que le PSOE mette en place laccord dit Pacte Anti-terroriste dont le préambule criminalise tous les partis abertzale ? Eh bien, ils lont fait. Et maintenant ils disent quil faut parler avec Batasuna. Plus que de lincohérence, il sagit de cynisme. Eusko Alkartasuna a toujours été pour le dialogue, pour la non-exclusion, pour la défense des droits fondamentaux.
Il y a plusieurs ´feuilles de route´, celle de Batasuna, celle de M.Zapatero et celle de M.Ibarretxe…
Je naime pas trop cette expression de ´feuille de route´. Cela dit, je crois, comme nous lavions affirmé dans le projet de Nouveau Statut de Gernika [approuvé par le parlement de la Communauté Autonome Basque mais refusé par le Congrès espagnol, ndlr], quil faut aborder la question de la pacification mais aussi la question politique. Le parti socialiste, le gouvernement espagnol, a la responsabilité de solutionner le problème et de sasseoir avec lETA pour dissoudre de façon définitive cette organisation. Dans ce sens, lEtat français a aussi des responsabilités, entre autres raisons parce quune bonne partie des prisonniers sont incarcérés dans ses prisons etc. Cela, en ce qui concerne la pacification, parce nous croyons quil y a aussi un problème politique quil faut résoudre par les voies politiques. Cest pour cela que nous demandons le lancement dun processus de normalisation politique. Si lon naborde pas le fond de la question, le conflit perdurera et nous arriverons à un choc de souverainetés basque et espagnole ou basque et française, à une confrontation démocratique entre les intérêts dun peuple et les intérêts des deux Etats. Au Québec ils ont réussi à trouver une solution à ce choc des souverainetés. Si une majorité québécoise se prononce pour la sécession, les deux parties, le Canada et le Québec, sont obligés de trouver un accord.
Dabord consultation et après accord. Le modèle de processus prôné par le lehendakari Ibarretxe présente des similitudes : dabord un dialogue entre les partis, ensuite décision de la société à travers une consultation populaire et enfin, accord avec lEtat.
Cest une formule que nous avions présentée dans le projet de nouveau Statut de Gernika. La décision doit revenir à la société.
EA se définit comme un parti indépendantiste.
Notre objectif est, en effet, lindépendance, mais il faut des pas intermédiaires. Tout comme le Statut de Gernika a permis des avancées, nous nous sommes engagés à élaborer un projet de nouveau statut qui confère à la Communauté Autonome Basque actuelle les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et qui contemple dans son article 7 des relations approfondies avec la Navarre et Iparralde [Pays Basque nord, ndlr], et cela dans le cadre de lUnion européenne. Nous croyons que les pêcheurs du Gipuzkoa et ceux dIparralde ont les mêmes problèmes, et que ce ne sera ni Paris ni Madrid qui va les résoudre. Nous sommes convaincus quil faut rapprocher la gestion des citoyens. Si lactuel statut de Gernika a montré quelque chose cest justement cela, quà travers la gestion locale nous avons réussi un niveau de bien-être majeur
En Navarre, où vous êtes parlementaire, comme en Pays Basque nord pas mal de gens sont opposés à tout projet de Pays Basque uni.
On est bien conscients, et on est prêts à laccepter. Ce que nous voulons cest que lon puisse nous poser la question. Nous navons pas peur de perdre un éventuel référendum. Je suis en minorité au Parlement navarrais et je suis habituée à ne pas gagner les votations. Nous respectons la volonté des citoyens navarrais tout comme nous respectons celle des habitants dIparralde. En plus, la consultation ne serait pas sur lindépendance, parce quil y a beaucoup de chemin à faire encore.
Dans lEtat espagnol aujourdhui il y a une mise en question de létat des autonomies, construit sur les piliers dun modèle franquiste. Mais on est loin darriver à une solution à la Canadienne. En France, Etat jacobin et centralisateur, cest bien pire. Mais il y a aussi une crise de modèle dorganisation et une remise en question de la Ve République quil faudra suivre de près.
En Pays Basque nord les demandes sont beaucoup plus modestes et elles sont loin dêtre admises par lEtat.
Eusko Alkartasuna a participé aux revendications institutionnelles et linguistiques. Nous croyons que la mise en place dun Département basque ne doit pas tarder plus longtemps, dautant plus que lobjectif principal dune telle institution est de mieux répondre aux besoins des citoyens. De même pour la question de la langue basque dont la situation est assez difficile. Je me demande ce quil en est de cette grandeur de la France. Peut-on être grand lorsquon méprise les petits? Le Pays Basque a une culture, une langue, une identité qui ont survécu pendant des siècles. Au lieu de lignorer, la France ferait mieux de comprendre quelle a une richesse à protéger.
Le soutien apporté par le gouvernement dEuskadi ou par les fondations telles quUdalbiltza ou Udalbide ne peut-il pas être perçu comme une ingérence?
Je le dis avec beaucoup de respect: lorsquil sagit de soutenir une langue en danger, lorsquil sagit daider au développement culturel et social, je ne crois pas quon puisse parler dingérence.
« Le pas suivant doit être celui du Québec, qui est un exemple de respect démocratique des peuples et de leurs droits »
Vous avez parlé de mécontentement du peuple basque…
Souvent, certains tentent de faire lamalgame entre le conflit basque et lETA. Le mécontentement du peuple basque ne date pas de la naissance de lETA, il est bien antérieur.
Sans commettre lerreur dextrapoler des moments historiques bien différents, il est vrai que le peuple basque sest donné des lois, les Fueros, et quau fur et à mesure que les Etats français et espagnol se sont conformés, les libertés des Basques ont eu tendance à disparaître. Cela est indiscutable, tout comme le fait que les Basques sétaient donné leurs propres lois, et par conséquent quils étaient souverains.
Il est également indiscutable que les Basques ont eu dans leur histoire un Etat, le royaume de Navarre, qui a été envahi, divisé et conquis dans sa partie péninsulaire par la force des armes, alors que sa partie continentale a été rattachée, à travers Henri III de Navarre, celui qui fut Henri IV de France. Je ne veux surtout pas présenter un passé idyllique, mais simplement rappeler que le Pays Basque a un passé différencié, non seulement avec une langue et une culture distinctes, mais avec une réalité juridique différenciée.Maintenant que lon commémore le 500e anniversaire de la naissance de François Xavier, il serait bien de rappeler que ses frères sont morts en essayant de récupérer la Navarre et que sa famille a dû partir en exil. Cest notre Histoire.
Là vous parlez dHistoire, du passé…
Parce quil y a une réalité de droits historiques que lon ne peut pas nier, parce que cest aussi de la restitution des droits historiques que lon est en train de parler. Le concept de droits historiques va de pair avec un autre concept, celui du droit à lautodétermination des peuples. On nous dit que lautodétermination est un concept du XIXe siècle, que cest un droit quon ne peut appliquer quaux colonies ou aux peuples opprimés Les droits sont indivisibles, et les peuples ont des droits ou ne les ont pas. Nous croyons que les peuples ont le droit de décider de leur propre avenir et que par conséquent, le peuple basque aussi.
Quel serait le pas suivant, lindépendance ?
Moi je suis républicaine et indépendantiste, mais cest au peuple basque de décider. Personnellement je crois que le pas suivant doit être celui du Québec, qui est un exemple magnifique de respect démocratique des peuples et de leurs droits. La Cour suprême du Canada avait déclaré quen respect pour les principes démocratiques, à partir du moment où le peuple québécois décidera de la sécession, les parties devront négocier. Négocier, non pas parler. Les évolutions démocratiques qui se sont produites dans une partie du monde au cours du XXe siècle doivent se poursuivre pendant ce XXIe siècle.
Cest-à-dire ?
Il y a pas mal dexemples similaires en Europe et dans le monde. Cest François Mitterrand qui avait réalisé une analyse assez erronée du devenir de lEurope. Par exemple, concernant lURSS, lancien président de la République pensait que jamais les républiques baltes nallaient obtenir lindépendance, que jamais elles nauraient une place au sein de lUnion européenne. Quinze ans plus tard, elles sont indépendantes et font partie de lUnion Européenne à égalité de droits avec la France, lEspagne, lAllemagne ou lItalie lancien Etat Tchécoslovaque sest divisé, la Yougoslavie a éclaté Cest lévolution démocratique qui a permis ces avancées et, jen suis convaincue, qui permettra au peuple basque de déterminer son avenir. Un avenir qui, de mon point de vue, doit se forger au sein dune Europe des peuples plus proche des citoyens. Il nest pas logique que des pays comme Malte, la Lituanie ou le Luxembourg fassent partie de lEurope et que le Pays Basque, qui a un passé, une culture, une langue, une identité et des spécificités juridiques propres ne soit pas intégré en tant que pays dans cette structure européenne.
Eusko Alkartasuna fait partie de lAlliance Libre Européenne. Quelle est limpression au sein de cette coalition sur la possibilité de construire une Europe des peuples ?
Nous sommes pour un modèle européen juste et équilibré dans lequel les peuples prennent une responsabilité directe dans les décisions. Cest, entre autres, pour cette raison que lannée dernière Eusko Alkartasuna a prôné le Non au Traité constitutionnel, parce que ce projet prônait la construction dune Europe des Etats. Limpression au sein de lALE est assez positive, dautant plus que dernièrement la réalité géopolitique a bougé avec la création de nouvelles réalités étatiques, avec lincorporation de nouveaux petits Etats Les peuples sont en train de modifier la carte dEurope qui nest pas du tout inamovible comme on voulait nous le faire croire.
Mais cest encore possible ?
Cest difficile, certes, mais non pas impossible. LHistoire récente nous le démontre
Fuente: Begoña Errazti